Tranchés, hachés, cuits et recuits, nos superhéros culinaires sont enfin à point. Pas bégueules, deux d’entre eux se livrent à vous chaque semaine, sans autre prétention littéraire que de vous amuser ou vous faire sourire. Vous reprendrez bien une louche de superpouvoirs ?
Préface
En l’an de grâce Onze Cent Trente Huit, à l’aube de ses dix ans, une petite orpheline et enfant prodige de la cuisine prénommée Rosemonde survit miraculeusement à la terrible explosion du four à pain gigantesque inventé par son père adoptif sur ordre du Roi. De ce cataclysme qui anéantit tout être et toute chose à mille lieues alentour, Rosemonde fut métamorphosée en un être fantastique. Ses dons culinaires furent décuplés et transformés en pouvoirs magiques, sa grâce et sa force furent amplifiées, à tel point qu’il était devenu impossible de dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme… Aussi fut-elle affublée du nom étrange de Herre Frau et, tant de beauté et de puissance provoquant incrédulité, peur et jalousie, partout excommuniée. Elle s’exila alors au cœur d’une forêt d’Alsace et personne ne la revit plus jamais…
Vous connaissez déjà cette histoire ?
…
Mais ce n’est pas tout… L’an de grâce Onze Cent Trente Huit fut bien particulier dans la mémoire de ses contemporains. Au cœur de l’hiver gascon, une comète éclaira d’une lueur étrange la plaine désolée des Landes girondines, cette terre emplie de maléfices, de farfadet crispants et de lucioles inquiétantes. Tout ce petit peuple assoupi dans la tourbe humide de la Grande Lande s’éveilla peu à peu sous la douce chaleur de la comète et fut emporté dans sa traîne scintillante. Apparue là, dans le pays de Buch, elle en essaima les sortilèges et les êtres magiques les plus dangereux au hasard de sa course sinueuse au-dessus de la terre. Après quelques semaines, elle disparut quelque part dans le Pacifique. Les populations effrayées par cette intervention céleste retrouvèrent alors leur calme, ne sachant qu’elle ne marquait que le début de phénomènes bien plus étranges…
En Onze Cent Trente Huit, l’explosion de fours gigantesques, de tournebroches pharaoniques, de marmites thermonucléaires ou encore d’aubergines hybrides et de tomates mutantes cultivées dans le silence des monastères cisterciens et bénédictins se multiplia. Oui… Herre Frau est sans doute celle que nous connaissons le mieux, car en plus d’être très jolie, elle crie très fort et cette globe-trotteuse sévit jusqu’en Argentine. Mais elle n’est que l’avatar le plus connu de ce que la comète de la Grande Lande a pu modifier dans la destinée terrestre. L’Alsace, certes, mais aussi l’Indonésie, la Normandie ou encore la Mongolie ont vu passer le corps céleste et ont donné naissance à de bien étranges êtres.
Nous en avons aujourd’hui la preuve éclatante.
Les dernières recherches archéologiques et paléographiques de la très sérieuse et réputée multinationale Suz Corp (Suzanne Corporation), dont la fondation finance de nombreux projets de recherche fondamentale, ont mis à jour de nombreuses traces de l’existence réelle de ces personnages. Les différentes fouilles organisées tout autour de la planète ont fait resurgir les vestiges d’une activité culinaire intense (bribes de recettes, mais aussi tours de main et sortilèges), aux caractéristiques hors normes. Ces recherches minutieuses ont permis de mettre en évidence l’existence d’au moins 14 cuisiniers fantastiques, pour qui l’alimentation n’est pas seulement un art, mais aussi une arme. Ceux qu’il convient d’appeler des Superhéros culinaires, aux méthodes iconoclastes et bien souvent effrayantes, se livrent une lutte sans merci. Mettant parfois en péril nos paisibles existences d’humains, les plus méchants d’entre eux nous manipulent, nous envoûtent tout en nous amadouant. Méfiance : certains, dits gentils, révolutionnent nos palais et nos papilles, mais bien souvent pour mieux nous mettre en servage. Les méchants valent mieux, parfois.
Uncle tant’e
Nom légendaire : Uncle tant’e
Identité officielle : dernièrement Maryvonne Hoeleunec
Sexe : féminin
Taille : 1,64 m
Poids : 50 kg
Yeux : noirs
Cheveux : bruns crépus
Peau : noire
Base: Bretagne
Première apparition : 1162
Costume : une cape sombre couvre pudiquement son justaucorps orange et sa culotte bleue en élasthanne. Elle arbore des gants, un masque, un parapluie et une coiffe de Bigoudène. À noter, un nœud papillon bleu autour du cou.
Type de cuisine favorite : la cuisine au beurre
Catégorie : Gentille
Ennemi : Prosper le roi du pain d’épices, Mamie Brossard et son mari
Expression fétiche : “Bâtard, enc…, je vais t’exploser ta sale gueule!”
Humeur, particularité et nature des pouvoirs: Immortelle, Uncle Tant’e s’est toujours montrée d’une résistance à toute épreuve lors de ses combats contre les Vilains superhéros de la cuisine industrielle contemporaine. Son parapluie lui permet non seulement d’éviter leurs coups, mais aussi de leur crever les yeux en moins d’une nanoseconde. Très rapide lorsqu’elle se lance à leur poursuite, elle atteint généralement sa vitesse de croisière de 850km/h en une, deux, trois secondes.
Très vite irritable, agressive et incapable de maîtriser sa haine, cette humeur rebelle l’a souvent conduite à violer le Code de bonne conduite des Gentils superhéros par l’usage frénétique et récurrent de la torture et des gros mots.
Origine des pouvoirs / Histoire :
L’histoire d’Uncle Tant’e s’apparente à une incroyable épopée.
Tout commence en Asie Centrale, au sein d’une mystérieuse tribu cannibale aujourd’hui disparue, où, selon la légende, il n’était pas rare de voir ses membres tartiner du pain d’épices avec du foie gras de bébé ! Un jour, alors qu’encore jeune fille, Uncle Tant’e préparait consciencieusement le pain d’épices que lui avait commandé sa vieille mère toujours trop occupée par le gavage de plus de deux cents nourrissons au foie déjà bien gros et gras, elle fut enlevée par de mystérieux cavaliers arabes venus de l’Ouest. Enthousiasmés par la savoureuse odeur du mystérieux gâteau aux épices qu’elle cuisinait, ils avaient décidé de l’emporter sur leur monture avec l’espoir de la présenter au Calife, convaincus que sa recette sucrée leur apporterait richesse et prospérité. Devenue docile après plus de cent coups de fouet, elle accepta de préparer le pain qu’elle présenta au Calife. Il s’en délecta et en redemanda. Flattée dans son orgueil , elle décida de le surprendre de nouveau avec du foie gras de bébé, qu’elle prépara à partir des plus jeunes fils du souverain et de viande de porc. Lorsqu’il découvrit que ses fils avaient été engraisses, tués, puis cuisinés pour être transformés en charcuterie, il fit torturer et tuer les cavaliers qui avaient conduit Uncle Tant’e jusqu’à lui. Persuadé que Satan guidait ses talents culinaires, il la vendit à des croisés de Jérusalem qui recherchaient une cuisinière.
Comblée par ses nouveaux maîtres, qui lui expliquèrent tout de même que ses pratiques cannibales n’étaient pas très catholiques, elle apprit aux cuisinières des libérateurs de la Ville Sainte sa merveilleuse recette sucrée et organisa dans la foulée le premier Festival du Pain d’épices de Jérusalem. Pierre L’Ermite, son ami intime, rapporta la recette à Dijon où elle sera par la suite largement diffusée.
Une fois de plus Jérusalem fut reprise et la jeune cuisinière dut s’exiler jusqu’en Afrique Noire, où les troupes du Calife, qui avait eu vent de sa soudaine célébrité, ne pourraient plus la retrouver. Là-bas, elle se mit très vite en ménage avec un jeune chef de tribu à l’avenir très prometteur qu’elle persuada d’abandonner ses pratiques cannibales contre la consommation de son délicieux pain d’épices. En échange, elle devint noire pour accéder, en compagnie de son futur époux, à la vie éternelle. Elle reçut en cadeau de mariage d’un grand sorcier la possibilité de toucher les objets en moins d’une nanoseconde et des jambes de gazelles supersoniques qui lui permettent encore aujourd’hui d’atteindre en mode course la vitesse de 850 km/h. Tous deux vécurent très heureux pendant plusieurs siècles et régnèrent sur leur petit royaume avec bonté et justice.
Pourtant l’histoire ne s’arrête pas là, car la découverte de l’Amérique conduisit cette reine africaine, au riche passé, de l’autre côté de l’océan où son destin de gentille allait enfin pouvoir s’accomplir. Son mari, après avoir acheté par correspondance un manuel sur les techniques commerciales d’Occident dernier cri, se laissa emballer par ses nouveaux talents de vendeur et la céda à un esclavagiste véreux contre de l’or et des pierres précieuses. Elle fut immédiatement envoyée en Louisiane pour travailler dans une rizière où fort heureusement, elle ne tarda à utiliser ses pouvoirs surpuissants pour permettre à de nombreux esclaves de survivre. Gardant le secret sur les dons qu’elle avait reçus du grand sorcier, elle récoltait toute seule, chaque fois que c’était possible, l’ensemble de la production du riz de la Louisiane. Pour agir en toute discrétion et éviter d’être reconnue, elle se confectionna une tenue de combat composée d’une cape noire, d’un masque, du slip bleu de son contremaître et de son justaucorps orange préféré. Elle choisit le nom de code d’Uncle Tant’e afin de créer une ambiguïté sur son sexe, si bien que parmi ses détracteurs personne ne sut si elle était un homme ou une femme.
À l’abolition de l’esclavage, celle qui était devenue l’icône du peuple noir utilisa son immense notoriété pour lancer une marque de riz : le riz Uncle Tant’e, en hommage à son identité secrète. La marque remporta très vite un franc succès et devint en 1944 partenaire officiel de l’Armée américaine. Engagée volontaire, Uncle Tant’e entra au service de l’US Navy sur une frégate comme cuisinière et y inventa toute sorte de rations énergétiques qui permirent aux soldats alliés de courir deux fois plus vite que les Allemands. Un cuirassier spécial lui fut très vite affecté pour qu’elle puisse produire ses précieux kits en grande quantité, toujours agrémentés d’une tranche de pain d’épices. Mais à la suite d’une terrible erreur de commandement, son bateau qui arborait fièrement le pavillon de sa marque de riz fut coulé au large des côtes bretonnes par un sous-marin anglais. Son corps dériva pendant de longs mois et finit par échouer sur une plage non loin de Landerneau.
Amnésique, elle fut recueillie par un groupe de bigoudènes qui la baptisèrent du nom de Maryvonne Hoeleunec. À cette occasion, elle reçut ce qui donnera la touche finale à son costume de superhéros : une coiffe bigoudène. Ayant oublié jusqu’à qui elle était (sauf la recette du pain d’épices), elle travailla pendant plusieurs années dans usine à biscuits de Pont-Aven où une fois encore elle fit preuve d’une efficacité incroyable.
Aujourd’hui, sujette à de terribles crises de paranoïa dès que quelque chose la contrarie, elle enfile immédiatement, sans trop savoir pourquoi, son costume d’Uncle Tant’e et se lance dans une course débridée à travers la campagne bretonne pour se faire justice. Cette propension à l’agacement perpétuel lui a souvent valu de rencontrer de gros problèmes avec la police, impuissante toutefois par manque de preuves : il semblerait en effet que ce soit elle qui ait tué à mains nues Prosper le roi du pain d’épices. Scandalisée par la qualité médiocre du pain d’épices de l’ours, elle serait devenue folle après la diffusion de plusieurs spots publicitaires vantant les mérites de son ignoble produit. Submergée par la haine, elle aurait rejoint l’usine de Prosper, l’aurait capturé, lui aurait planté son parapluie dans l’œil, l’aurait étranglé et aurait brûlé son usine. Mamy Brossard serait la prochaine sur la liste.